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La psychiatrie en crise

Medic looking at camera during the brief
Black female doctor standing with arms crossed and looking at camera during the meeting in hospital.

Pénurie de médecins, manque de moyens, bâtiments vétustes, travaux qui n’en finissent pas… Les services de psychiatrie de Martinique et de Guadeloupe souffrent.

« Les patients sont, pour la plupart, attachés dès leur arrivée au Centre d’accueil de crise de Pointe-à-Pitre (CAC) », dénonce le Dr Michel Eynaud, psychiatre à l’Établissement public de santé mentale (EPSM) de Guadeloupe. « La salle est petite, avec trois boxes et l’agitation de l’un peut être dangereuse pour les autres. C’est éthiquement inadmissible. » L’article 72 de la loi du 26 janvier 2016 sur la modernisation du système de santé précise en effet que « l’isolement et la contention sont des pratiques devant être utilisées en dernier recours et énonce clairement un objectif d’encadrement et de réduction de ces pratiques », qui doivent être prescrites en présence du référent médical. Pour la direction, il s’agit de sécuriser le patient, à défaut d’espace adapté. « Avant, le CAC était une salle avec quatre lits sans cloison, sans intimité », précise Alain Clavel, directeur adjoint de l’EPSM, en charge des travaux. « On essaie d’améliorer, tout en gérant inlassablement les problèmes. »

Pas de climatisation

Depuis l’incendie de novembre 2017, le service a déménagé à deux reprises avec à chaque fois des travaux engagés pour la sécurité des patients et des soignants. Des grilles sur les fenêtres, des jalousies en bois plutôt qu’en verre, et des portes qui se ferment et s’ouvrent vite en cas d’agressivité, sans oublier la climatisation jusqu’alors absente ou inutilisable. « C’est du temporaire, en attendant un nouveau déménagement à côté des urgences générales au rez-de-chaussée du CHU de Pointe-à-Pitre », espère Alain Clavel. Du temporaire qui dure et des conditions de travail déjà difficiles, témoigne une infirmière en poste depuis 1 an dans l’unité fermée du secteur de Grande-Terre : « Les patients arrachent les fils électriques, cassent les fenêtres. Nous devons faire attention à tout ! Et il n’y a pas de climatisation. Elle est remplacée par un climatiseur mobile très bruyant. » « Il y a de l’eau, mais pas d’eau chaude et ce depuis plus de 10 ans », s’indigne un autre personnel de l’unité fermée du secteur de Pointe-à-Pitre en poste depuis 13 ans. « Pour éviter les confrontations avec les patients, il nous arrive de faire la toilette en chauffant l’eau à l’aide d’une bouilloire. Sans oublier les infiltrations d’eau ou les repas incomplets. Il manque parfois le dessert ou l’entrée. »

Prise en charge retardée

Dernièrement restructurée en Établissement public de santé mentale, la psychiatrie en Guadeloupe peine encore à dresser un bilan positif, 1 an après le regroupement du Centre hospitalier de Montéran à Saint-Claude avec les services de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire de Guadeloupe. « Nous avons les mêmes problèmes que dans l’Hexagone », reconnaît le Dr Foucher, psychiatre au Centre hospitalier Maurice Despinoy à Fort-de-France, « avec une spécificité aux Antilles, c’est que l’on a une hospitalisation sous contrainte très au-dessus des moyennes nationales. Des structures ferment en Martinique car elles sont jugées non rentables », explique le psychiatre. Des restructurations ont en effet eu lieu entre 2014 et 2015, confirme l’ARS de Martinique. Les CMP de Rivière Pilote et du Saint-Esprit ont fermé, redéployés sur les CMP/CATTP de Rivière Salée et du François. Le CMP de Saint-Joseph a fermé et été redéployé sur celui de Mongerald à Fort-de-France. «Tout cela crée des tensions que ressentent directement les patients », ajoute le docteur. « Ils attendent plus longtemps leur prise en charge ou l’attribution de leur chambre. La fermeture des Centres médico-psychologiques (CMP) oblige les patients à faire plus de kilomètres. Certains arrêtent leur suivi car trop loin et trop contraignant. Et en Martinique, il n’y a pas eu de restructuration en EPSM », regrette le psychiatre de Fort-de-France. Les Agences régionales de santé de Guadeloupe et de Martinique le savent, il y a un manque de spécialistes. « Les postes vacants sont nombreux, commente le Dr Michel Eynaud, et les intérimaires ne devraient pas être une solution. Encore moins dans le cadre de l’accompagnement psychiatrique qui peut durer longtemps parfois. »

Plan d’action

Outre les services d’urgences, les unités fermées et les centres médico-psychologiques, il y a aussi les équipes mobiles psychiatrie et précarité. Eva* en fait partie. Sur le secteur du Gosier, Les Abymes et Pointe-à-Pitre, elle prend en charge une dizaine de personnes par jour avec ses collègues. Trois infirmiers, un éducateur spécialisé, une assistante sociale et une présence médicale répartie sur trois demi-journées. « C’est peu », commente l’infirmière. « Le médecin a plus de quatre unités à gérer. Nous soignons et accompagnons des personnes en très grande précarité, en fauteuils roulants, des femmes enceintes, des personnes âgées, des personnes souffrant de pathologies psychiatriques comme la schizophrénie. Nous sommes confrontés régulièrement au manque de lits d’hospitalisation à cause de la vétusté des locaux. En cas de nécessité pour nos patients, nous n’avons pas de solution. Nous nous sentons désemparés face à la situation. Souvent, nous nous retrouvons en rupture de denrées alimentaires nous permettant de tisser ou de consolider le contact avec les personnes en grande précarité », ajoute l’infirmière de l’équipe mobile psychiatrie et précarité. « Nous faisons des dons, payons parfois de nos poches des petits déjeuners (sandwich, jus, café, chocolat) ». Tous les acteurs sont bien sûr conscients de l’état d’urgence. Dans le cadre du programme « Ma santé 2022 », l’ARS de Guadeloupe a lancé en septembre un « projet territorial de santé mentale » pour la Guadeloupe et des îles du Nord visant à recenser les besoins et les insuffisances des services pour lancer un plan d’action qu’il faudra attendre, au mieux en 2020. La Martinique, elle, est actuellement en construction de son projet territorial de santé mentale.

* Le prénom a été modifié.

Encadré : Quelques chiffres

– Selon l’OMS, les maladies mentales affectent 1 personne sur 5 chaque année en France.

– En Guadeloupe, 34 % de la population souffre de troubles psychiques et 25 % ont déjà consommé des psychotropes contre 22 % en Martinique avec 35 % d’hommes et 7 % de femmes.

Source : résultats de l’enquête « Santé mentale en population générale : images et réalités », 2014, CCOMS, CHM, CHU, ARS.

Sad woman crying

Quelques chiffres

Selon l’OMS, les maladies mentales affectent 1 personne sur 5 chaque année en France.
En Guadeloupe, 34 % de la population souffre de troubles psychiques et 25 % ont déjà consommé des psychotropes contre 22 % en Martinique avec 35 % d’hommes et 7 % de femmes.
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