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Bruno Benjamin, l’œil sur les cyclones

BRUNO BENJAMIN
Copyright DR

Devenu incontournable quand on parle cyclones, Bruno Benjamin a explosé médiatiquement en 2017. Pourtant, sa passion pour les forces de la nature remonte à son plus jeune âge et jalonne toute sa vie.

« C’est gravé », répète-t-il. Bruno Benjamin a une mémoire d’éléphant. Donnez-lui une année et il vous répond quel cyclone nous a frappés, sa trajectoire et les dégâts causés. Le cours de la vie du jeune quinquagénaire a défilé au rythme des dépressions tropicales, tempêtes et ouragans. Pourtant, les premières amours du médiatique prévisionniste ne sont pas les cyclones, mais les tremblements de terre.

Soif de connaissance

BRUNO BENJAMIN 2 DR

« En 1976, lors des événements de la Soufrière, mon grand-père revenait d’une visite chez le médecin. Il nous a dit que les voitures étaient couvertes de cendres. Puis, il y a eu les premiers séismes. Je découvrais les soubresauts de la nature », se souvient l’Abymien d’origine (Guadeloupe). Âgé de 5 ans et intrigué, Bruno fait des recherches et découvre l’histoire de Pompéi et le Vésuve. Jusqu’au CM1, son métier rêvé est celui de volcanologue.

Mais c’était avant la rencontre avec le cyclone David, en 1979. En plus d’avoir inspiré une célèbre chanson à Ti Manno, la catastrophe naturelle a fait naître une vocation chez Bruno Benjamin. Si le jeune passionné partage le même souvenir impérissable que le chanteur haïtien (sé-on moman lavi ke’m pa’p janm bliyé), l’issue est toutefois plus heureuse pour le Guadeloupéen que pour l’artiste (Chak fwa’m sonjé’l dlo koulé nan zye’m). Ce jour-là, le père de Bruno rentre du travail : « On aura un cyclone ! » Le passionné de pêche saisit l’occasion pour apprendre à son fils à coordonner des positions sur une carte de pointage. « 10° nord, 35° ouest… C’est ainsi que j’ai fait mes premiers pas pour pointer David », se rappelle Bruno. Une soif de connaissances de famille. « J’aime me repérer dans l’espace et dans le temps. Ma mère est prof d’histoire-géo », déclare-t-il.

cyclone Antilles guadeloupe martinique

C’est ainsi que toute son enfance est marquée par des événements qui alimentent sa passion à étudier nos cieux. « En 1989, je me rappelle la préparation à l’arrivée d’Hugo. » La voix de son père résonne dans sa tête : « Va démonter l’antenne. Occupe-toi des chiens. » Bruno Benjamin sourit, nostalgique. Puis, son visage devient grave. « Vers 19 h, ce sont les premières rafales. On a peur, on se calfeutre. » L’eau coule « comme un robinet » à travers les fenêtres. Les baies vitrées ploient « comme des feuilles de papier » sous le joug des vents. Les matelas au sol dans le couloir avec ses sœurs. Bruno n’a rien oublié. Surtout pas quand son père l’appelle pour voir l’œil du cyclone. « Un silence de 10 minutes », évoque-t-il les yeux dans le vague.

Luis, Maryline, George…

La vie réserve souvent d’heureux hasards. De retour au pays après un BTS Tourisme et récemment embauché dans une compagnie aérienne, Bruno découvre qu’il a accès aux données du National Hurricane Center, le centre de prévisions météorologiques à Miami (Floride, États-Unis). Une mine d’or pour le passionné. Ces sources de haute valeur scientifique et ses connaissances lui permettent d’avertir, dès la veille, collègues et clients de l’arrivée de Luis et Marilyne en 1995. « Ma mission était accomplie », sourit-il fièrement. Bruno se forge ainsi une réputation et se voit même appeler par taquinerie « Mazurie », en référence à Roland Mazurie, chef prévisionniste de Météo France à l’époque.

Il se prend au jeu et les progrès technologiques aidants (démocratisation d’internet et des ordinateurs), il recueille les données du NHC et les sauvegarde. Grâce à des amis férus d’informatique, il achète des logiciels de traitement d’images et crée son site. Il débute d’abord modestement avec cinq pages où on trouve la définition du phénomène cyclonique, des alertes, quelques images satellites et prévisions. La bascule se fait en 1998 avec George. « Quand le cyclone arrive, j’envoie par fax mes prévisions à RCI, 30 minutes avant Météo France. Ils le lisent à l’antenne ! », s’enthousiasme Bruno. Il gagne en crédibilité d’autant qu’il est le seul à annoncer ce soir-là que l’œil évite la Guadeloupe, mais qu’elle sera touchée par des vents cycloniques. « J’avais 30 visiteurs par jour sur le site. Je suis passé à 500 cette nuit-là ».

BRUNO BENJAMIN cyclone

1 an plus tard, le cyclonologue donne sa première conférence. Il en profite alors pour présenter son nouveau site (ouragans.com) agrémenté de 1 500 pages d’archives depuis 1851 et d’informations pratiques et touristiques. Le portail mondial des ouragans, cyclones, typhons et tempêtes naît. « J’avais le sens du spectacle », en sourit-il encore. Un nouveau cyclone assoit la notoriété du prévisionniste, cette fois en Martinique. En effet, en 2007, Bruno est consulté par Martinique 1ère pour le cyclone Dean. Ses interventions en direct à 2 h et 5 h du matin font la différence : « Je suis pédagogue, disponible et réactif », justifie le passionné. Son site enregistre 200 000 visites en trois jours.

Sauver des vies

Mais Bruno Benjamin aime apprendre. Le tournant est sa rencontre en 2008 sur un forum mondial de professionnels et amateurs de météorologie avec un célèbre expert américain, membre du laboratoire de recherche sur les ouragans du National Weather Service, Christopher Landsea. Le courant passe entre les deux hommes et l’Américain transmet 3 années de cours universitaires à Bruno. « J’ai fait un blocage sur la physique et dynamique des fluides. Mais tout ce qui est météo et climats, j’absorbais, j’ingurgitais. J’ai dormi 2-3 h par nuit pendant 18 mois. »

Il poursuit son apprentissage, cette fois au prévisionnisme et à la gestion de crise, au contact de professionnels comme cet agent de la FEMA (Federal Emergency Management Agency), organisme gouvernemental américain qui assure l’arrivée des secours en situation d’urgence.

Irma et maria cyclone

Notre cyclonologue et prévisionniste local progresse ainsi au fil de ses rencontres professionnelles et lectures croisées avec ses expériences du terrain. Avec les membres de son association fondée en 2020, il développe une check-list en cas de cyclone, un kit d’urgence (sifflet, rations, poncho, allumettes de secours, etc.) et même un kit familial avec des toilettes sèches. Il intervient régulièrement dans des établissements scolaires, des associations de quartiers, des mairies, et même pour des particuliers.

Ces prises de conscience sont sûrement liées aux questions d’actualité et aux conséquences visibles du réchauffement climatique. Sur ce point, Bruno est formel : le réchauffement climatique est naturel. Mais depuis la révolution industrielle, on a atteint en 300 ans ce qui aurait dû se faire naturellement en 5 000 ans. Une mer chaude étant du carburant pour un cyclone, nous aurons donc des phénomènes à venir de plus en plus violents. D’où l’impérieuse nécessité de bien se préparer pou si an ka. Bruno considère que son engagement est une évidence : « J’ai déjà sauvé des vies. Je veux me dire que j’ai été utile. »

Par Boni Kwaku

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